Kristin Meyers Bericht
Im Juli 2010 lernte ich bei einem Aufenthalt im St. Moses Childrens Care Centre Adrien Genoud kennen. Ich kam nach einem langen Flug mitten in der Nacht im Kinderheim an und trotz der späten Stunde nahm Adrien mich am Tor in Empfang, nahm mein Gepäck und begleitete mich in meine Hütte – meinem Zuhause für die nächsten Wochen.
Im Laufe der Wochen haben wir viel Zeit miteinander verbracht, vor allem aber lernte ich seine Arbeit und sein grosses Engagement für die Kinder Ugandas kennen. Welch eine Leistung.
Omoana hat es sich zur Aufgabe gemacht, sehr kranke Kinder im eigenen Haus aufzunehmen und sie dort medizinische so zu versorgen, dass sie gesund oder aber mit dem richtigen Umgang mit ihrer Krankheit in ihre gewohnte Umgebung zurückkehren können. Die Organisation arbeitet eng mit dem St. Frances Hospital zusammen, das direkt nebenan liegt. So ist eine für ugandische Verhältnisse optimale medizinische Versorgung der kleinen Patienten gewährleistet.
Darüber hinaus hat Omoana im Laufe der letzten Jahre eine Landwirtschaftsschule im Norden des Landes, in Gulu, eröffnet. Ein wichtiger Impuls für die Region, denn aufgrund des lang währenden Bürgerkriegs und der immer noch unsicheren Verhältnisse dort ist der gesamte Norden eine vergessene Gegend.
Von meinem ersten Besuch mit Adrien im Omoana Haus ist mir besonders der kleine Kikere im Gedächtnis geblieben. Ein 6 – jähriger Junge, viel zu klein für sein Alter, blind und mit rötlichen Haaren – letzteres geschieht, wenn Kinder über lange Zeit unter Mangelernährung leiden.
Sobald Adrien das Haus betrat, hingen alle Kinder wie Kletten an ihm. Sie zeigten ihm die neuesten Errungenschaften: wie hoch sie springen, wie schnell laufen und wie oft sie sich im Kreis drehen können. Und auch der kleine Kikere fing an, schüchtern zu lächeln, als er Adriens Stimme hörte.
Dann holt Adrien eine Ukulele heraus und fängt an zu spielen: „Ella est là“. Alle tanzen, singen sofort mit und laufen wild um Adrien herum.
Und sogar auf dem Gesicht von Kikere breitet sich ein großes Lachen aus, er klatscht laut in die Hände und sich wiegt sich hin und her.
Kristin Meyer
Schauspielerin
Editorial de « Nouvelles d’Omoana », janvier 2014
Dans une société occidentale en pleine effervescence et prônant un individualisme à outrance, il peut s’avérer parfois difficile de prendre pleinement conscience des inégalités criantes qui régissent notre monde. Pourtant, à l’ère de la communication, en faisant preuve d’un minimum de curiosité et d’intérêt empathique, nous remarquons rapidement à quel point l’équilibre entre le Nord et le Sud est biaisé. Le développement affolant et déconcertant de l’un n’est possible pour l’heure qu’au détriment de l’autre. Et nombre d’entre nous se vautrent dans cette réalité, prétendant qu’un changement n’est pas à notre portée et qu’il dépend de la volonté des acteurs politiques et commerciaux.
C’est oublier alors la force des symboles et de la volonté des peuples. Il ne dépend que de nous de faire en sorte que la globalisation ne soit pas qu’affaire de commerce et d’intérêt personnels. Elle doit également concerner la solidarité et ce choix nous concerne tous.
De nombreux organismes mettent en lumière les absurdités de la politique suisse et internationale qui posent les priorités sur le bien-être économique et l’abondance plutôt que sur la considération des droits de l’homme et le respect de la nature. Les alternatives à ce modèle existent. Par exemple, la qualité et la quantité de notre consommation influencent l’offre et ainsi potentiellement la vie de milliers de fabricants, d’artisans et de producteurs d’ici et d’ailleurs. Le commerce équitable, local ou biologique n’est pas que le fruit d’un effet de mode. L’augmentation de ces produits est le témoin évident qu’une grande part de la population souhaite davantage de respect dans les modes de production. Et si les chartes des nombreux labels qui fleurissent sur le marché méritent encore d’être améliorées, leur apparition est symboliquement extrêmement forte. A nous de ne pas laisser le commerce avide nous manipuler en sélectionnant les magasins, les produits et les labels les plus dignes d’intérêt.
Au-delà de notre mode de consommation, l’aide au développement apporte également une part de réponse pour tenter de rééquilibrer la balance fragile de notre humanité. Elle renforce grandement les populations du Sud et améliore ainsi leur pouvoir de revendication et d’action, ce qui s’avère essentiel pour la défense de leurs droits fondamentaux.
Albert Schweitzer, grand penseur et acteur de l’aide au développement s’il en est, affirmait : « L’idéal est pour nous comme une étoile pour le marin. Il ne peut être atteint mais il demeure un guide. ». Laissons-nous inspirer par cet idéal et agissons de manière conséquente et réfléchie. N’oublions pas que nous avons le choix ! Il est essentiel de ne pas se reposer sur des acquis et de poursuivre sur ce chemin vers davantage d’équité. Merci à vous, chers donateurs, de soutenir les aspirations, les valeurs et les actions d’Omoana.
Mathilde Jordan
Présidente
Sensibilisation au VIH/Sida
Lorsque des enfants séropositifs et malnutris sont accueillis à Omoana House, la question de la réintégration se pose dès le premier jour. S’ils arrivent dans des états proches de la mort, la raison en est souvent qu’ils ont été laissés à eux-mêmes dans des villages retirés de la région de Jinja. La travailleuse sociale d’Omoana House visitera régulièrement les familles des enfants avant même leur réintégration. Elle devra ensuite évaluer avec ses collègues quel membre de son entourage sera le plus à même de s’en occuper lorsque son état de santé sera stabilisé.
Comme pour chacun de ses projets, Omoana tente d’avoir une approche globale. Ainsi, afin que l’enfant soit reçu comme un individu à part entière, elle mènera des séances de sensibilisation au VIH/Sida au sein de sa communauté. Cela favorisera une réintégration permettant à l’enfant de ne pas être discriminé. Dans les écoles et les communautés où elle se rendra, elle abordera également les moyens de prévenir l’infection, ainsi que l’importance de connaître son statut viral. Grâce à l’équipe de notre partenaire St.Francis HCS, un centre de santé pour personnes vivant avec le VIH, chacun a la possibilité de faire un test, le cas échéant, se soigner et éviter d’infecter d’autres personnes (partenaires, futurs enfants). Cela peut notamment s’avérer utile dans des cas où les propres parents des enfants soutenus n’acceptent pas leur séropositivité. Ils doivent être convaincus de se prendre en main pour ensuite être capable de s’occuper de leurs enfants. Le combat contre le sida n’est pas uniquement une question de soins. C’est avant tout une problématique sociale. L’ignorance peut faire des ravages. C’est pour cela qu’Omoana s’est joint à son partenaire St.Francis HCS et bénéficie de son expertise, afin de permettre à 1’301 personnes dans 19 villages d’avoir accès à de tels services en 2013.
Adrien Genoud
Coordinateur
Santé mentale des personnes touchées par la guerre
Durant plus de 20 ans, le Nord de l’Ouganda a été en proie à une guerre civile entre l’armée de Resistance du Seigneur et les forces gouvernementales. Plus de 25’000 enfants ont été kidnappés pour être utilisés comme soldats. Ils ont été forcés à commettre des atrocités et ont vécu des événements traumatiques qu’ils n’oublieront jamais. Certains ont dû tuer les membres de leur famille, d’autres ont été victimes de violences sexuelles. Dans un état de survie, ils ont parfois dû boire leur propre urine. Vivre de telles expériences à répétition laisse forcément des séquelles à nombre d’entre eux. De retour au village, ils souffrent du syndrome de stress post traumatique, qui peut notamment se manifester par des flashbacks, des insomnies et des troubles de la concentration.
La région a été pacifiée en 2006. Mais selon les études les plus optimistes, 25 % des anciens enfants soldats et 7% de la population générale souffrent encore de ce syndrome, qui, s’il n’est pas traité, ne part pas. Cela affecte leur capacité à gérer une activité génératrice de revenu, et la situation de désespoir dans laquelle ils se trouvent peut les pousser vers l’alcoolisme. Il est important de faire face à ce problème, pour leur bien-être, et pour la réconciliation dans la région. En effet, les personnes souffrant de stress post traumatique sont souvent irritables et peuvent être mal perçues par les autres membres de leur communauté. La santé mentale n’est malheureusement pas dans les priorités du gouvernement. L’Ouganda ne compte que 30 psychiatres pour 34 millions d’habitants.
A partir de 2014, Omoana collaborera avec VIVO, une organisation spécialisée dans le traitement des traumatismes psychologiques dans les pays en guerre. Elle est composée de spécialistes du monde entier et reconnue comme l’une des leaders dans ce domaine. Anett Pfeiffer, psychologue allemande, gère une équipe de thérapeutes ougandais, qui donnent aux populations des thérapies de 12 sessions qui ont prouvé leur efficacité à travers des recherches académiques.
Les fonds sont limités, et l’accès aux endroits les plus reculés est difficile. Les villageois n’ont pas les moyens de se déplacer jusqu’en ville deux fois par semaines pour suivre une thérapie. Omoana permet donc à ses bénéficiaires d’avoir accès aux services de cette organisation.
L’approche globale d’Omoana, cherchant à donner à ses bénéficiaires un soutien économique de qualité ainsi que de faire appel à des spécialistes reconnus de la santé mentale, peut être considérée comme programme de référence dans les régions post-conflit. De plus, Omoana travaille en réseau pour offrir le meilleur à ses bénéficiaires, maximiser les ressources et les connaissances. Mais pour prouver l’efficacité de telles collaborations, ainsi que la corrélation entre les problématiques sociales et économiques en région post-conflit, il est nécessaire qu’un investissement ait lieu au niveau académique. Omoana est ainsi favorable à accueillir des chercheurs dans ce but.
Adrien Genoud
Coordinateur
Le microcrédit, quelques années après
Lorsque nous avons lancé les programmes de microcrédit à Jinja en 2008 puis à Gulu (région post-conflit) en 2010, nous étions convaincus que ce type de programmes, mis en œuvre de manière adéquate, était la clé d’un développement efficace. Au début, bon nombre de bénéficiaires se lançaient dans cette entreprise avec un certain doute. Pourraient-ils rembourser ? Cela allait-il vraiment leur permettre d’augmenter leurs revenus ? Après des formations principalement en entrepreneuriat, données par des agents de crédit motivés, ils ont eu accès à des prêts, initialement d’un maximum de 40.-, atteignant progressivement 250.-. Ils ont ainsi développé leurs activités génératrices de revenus.
Lors de visites récentes de familles touchant des microcrédits, j’ai pu constater que ce concept avait vraiment un impact durable sur leur qualité de vie. Une bénéficiaire exprimait sa joie en disant qu’elle se sentait pousser des ailes ! Il suffit d’observer leurs foyers pour s’en rendre compte. Nombre d’entre eux ont développé leur bétail et témoignent d’une amélioration évidente de leur niveau de vie, que ce soit du point de vue nutritionnel ou de l’accès à l’éducation pour leurs enfants. Ils ont gagné en assurance et ne se considèrent pas comme de simples victimes de la guerre, de la pauvreté ou du sida. 2’320 familles ont reçu des microcrédits en 2013 et de nombreuses autres souhaitent également en bénéficier. Le mérite en revient surtout aux responsables des projets sur place, Achan Immaculate et Anna Sanyu, deux femmes dynamiques et dévouées. Nous continuerons ainsi de développer ces programmes à leurs côtés, afin que notre travail pour assurer la dignité des jeunes Ougandais donne les moyens à ceux qui s’en occupent de le faire de manière indépendante et qu’ils puissent ensuite transmettre leur ailes à leurs enfants !
Adrien Genoud
Coordinateur
Le sida à l’heure de l’adolescence
Mary*, l’une de nos bénéficiaires a maintenant 16 ans. Elle est soutenue par Omoana depuis 9 ans. Orpheline, elle est née avec le sida, et vit avec sa grand-maman, également séropositive. La trithérapie est un traitement à vie pour les personnes atteintes par le VIH/sida. Nos bénéficiaires sont sensibilisés à l’importance d’une prise régulière et constante des cachets, et des potentielles conséquences si cela n’est pas respecté.
Cependant, certains d’entre eux, pour des raisons liées à l’adolescence ou parfois à un certain dégoût de la vie, ne prennent plus leur traitement de manière régulière. Ils développent alors une résistance à la trithérapie ainsi que de nombreuses infections. Mary est passée par cette phase. Elle est maintenant en condition critique, mais reçoit des soins de qualité dans l’une des meilleures cliniques du pays, à Kampala. Elle a un joli visage, ainsi qu’un physique fin et élancé. Les infirmières lui disent qu’une fois rétablie, elle pourrait devenir mannequin. J’y avais déjà pensé, l’imaginant un jour devenir Miss Ouganda ! Mais elle m’a signifié qu’elle préférait devenir médecin ou infirmière, pour aider comme on l’a aidée. Je lui ai alors répondu qu’elle devrait mieux prendre son traitement et surtout être très studieuse à l’école. Elle regarde à nouveau vers l’avenir. Espérons qu’elle pourra reprendre les bancs de l’école en 2014. En attendant, le personnel d’Omoana House recherche et met en place une stratégie pour faire face à cette problématique qui est répandue dans tout le pays.
Adrien Genoud
Coordinateur
* nom fictif
Discours d'Adrien Genoud
Depuis le début des activités d’Omoana en Ouganda, j’ai croisé de nombreux destins d’enfants, hommes et femmes qui m’ont marqué par leur force, leur espoir ou leurs souffrances. Artisans ou bénéficiaires de l’œuvre d’Omoana, ils ont fait vivre un engagement qui au-delà des récoltes de fonds et des activités quotidiennes reste avant tout humain. De nombreuses fois, j’ai croisé leurs regards étonnés de tant de souffrance. Mais souvent aussi, j’ai été surpris des ressources qu’ils trouvaient en eux pour affronter l’adversité.
Je pense à la persévérance de deux adolescents que nous soutenons. L’un était enfant soldat. L’autre était séropositifs, atteint de la tuberculose, de la méningite et de malnutrition. Tous deux rejoindront l’université l’année prochaine. Ils souhaitent devenir médecins, ou travailler dans le tourisme.
Je pense également à cette femme, mère de 6 enfants, qui a perdu plusieurs membres de sa famille durant la guerre. Elle m’a avoué avoir pensé au suicide tellement les pensées douloureuses et la survie dans l’extrême pauvreté lui paraissaient difficiles. Elle a ensuite eu accès aux microcrédits. Petit à petit la situation de sa famille s’est améliorée. Envoyer ses enfants à l’école est devenu plus facile, et la sécurité alimentaire au sein du foyer s’est également améliorée.
Ces gens nous inspirent. Mais ce n’est que le début. Ils apporteront sans aucun doute leur contribution au développement de leur pays, et à l’humanité toute entière.
Parmi ces enfants, certains n’ont pas eu l’occasion de montrer au monde ce qu’ils valaient. Ils sont souvent morts dans des souffrances atroces, que les discours sur la justice et l’égalité des droits ne peuvent être assez fort pour décrire. Qu’ont-ils fait pour mériter ça ? Rien. Leur innocence n’a simplement pas assez d’importance aux yeux d’une partie trop grande de notre humanité. Aujourd’hui, personne ne devrait mourir du sida ou de malnutrition. C’est la négligence avant tout, tant au niveau global que local, qui fait que ces enfants nous quittent ainsi. La tristesse aussi m’envahit, car je ne peux oublier les hurlements de douleurs de leurs proches, à la vision du corps sans vie de ces jeunes êtres. Mais je me plais à penser que ce sont devenus des anges qui nous aident à combattre pour les droits de leurs frères et sœurs. Je me rappelle du sourire charmeur de Catherine, des pas de danse d’Yvan et de la vivacité de Rukia. Je me dis que leur courage qui nous a tant inspiré n’était pas vain et que leur perte était inestimable.
Car ce furent bien des enfants qui nous ont quittés. Toutes les 5 secondes, un enfant meurt de faim dans le monde, alors que la planète a assez de ressources pour nourrir 12 milliards d’êtres humains. Selon l’Unicef, en 2011, 230’000 enfants sont morts du sida. La diarrhée tue 760’000 enfants chaque année. Toutes ces maladies sont gérables avec des traitements, alors que les dirigeants des compagnies pharmaceutiques de notre pays s’enrichissent de manière indécente.
Lorsqu’on s’engage pour un monde meilleur, de nombreuses personnes nous regardent d’un air condescendant, en nous qualifiant d’idéalistes. Selon Larousse, le mot idéaliste signifie « qui obéit à un idéal, qui croit à des valeurs absolues d’ordre moral, social, intellectuel, pour améliorer la société ou l’homme. » Elles opposent souvent les idéalistes aux pragmatiques. La définition du pragmatisme est « l’attitude de quelqu’un qui s’adapte à toute situation, qui est orienté vers l’action pratique ». Les gens qui se sont battus pour nos droits ont souvent été qualifiés d’idéalistes. Mais grâce à leur persévérance et leur foi, ils ont permis à certains d’entre nous de vivre libres, sains et heureux. Ils ont orienté leurs actions de manière à faire valoir leurs idéaux.
Edmond Kaiser, fondateur de « Terre des hommes » a écrit : « Si l’on ouvrait la marmite du monde, sa clameur ferait reculer le ciel et la terre. Car ni la terre ni le ciel ni aucun d’entre nous n’a vraiment mesuré l’envergure terrifiante du malheur des enfants ni le poids des pouvoirs qui les broient. »
Même s’il est impossible de quantifier la douleur, la mort et l’agonie évitable des enfants de ce monde est tout autant inacceptable que les crimes commis lors de la seconde guerre mondiale. On a dit « plus jamais ça ». Si l’on parlait alors de crimes atroces fabriqués par l’homme, il est difficile de comprendre l’incohérence de ce monde, où la morale quant à notre regard sur l’histoire et sur nos actes s’applique de manière différente à certaines personnes, à certaines périodes. Si refuser l’intolérable, c’est faire preuve d’idéalisme, nous faisons certainement partie de cette catégorie. Ceux qui se prétendent pragmatiques pour empêcher les avancées indispensables en matière de droit de l’homme dans le monde, revendiquent souvent des raisons structurelles ou économiques axées sur le court terme. Chaque action pour faire valoir la dignité de l’humanité toute entière doit voir plus loin que son village, plus loin que les idées préconçues de son époque. Nous sommes des millions à vouloir voir la roue tourner dans l’autre sens, que l’on soit d’Afrique ou d’Europe, que l’on soit homme ou femme, noir, jaune ou vert de rage. Charles Péguy a dit « L’homme qui veut demeurer fidèle à la justice doit se faire incessamment infidèle aux injustices inépuisablement triomphantes. »
Lorsqu’on parle des injustices à nos concitoyens, nombre d’entre eux rejettent la responsabilité sur d’autres : sur les politiques, les dictateurs ou le monde de la finance. Cela relève certainement d’un fond de vérité. Mais il appartient à nous aussi d’influencer cet état de fait que, selon la citation de Fatou Diome, « Dans la balance de la mondialisation, la tête d’un enfant du Tiers-Monde pèse moins lourd qu’un hamburger ». Notre manière de consommer peut faire une différence, avec des moyens d’action tels que les produits issus du commerce équitable. Dans notre manière de voter aussi sur des thèmes tels que l’exportation d’armes suisses à l’étranger, ou la spéculation sur les matières premières alimentaires.
De nombreuses organisations tentent aussi d’atténuer les malheurs des populations du Sud ou de favoriser le développement au sein de leurs communautés. Les efforts d’Omoana, de son comité, de sa présidente Mathilde Jordan, de ses partenaires et donateurs, tout cela avec la collaboration des familles des enfants, pour leur offrir des perspectives d’avenir de manière durable restent essentiels. De nombreuses injustices se déroulent certes dans ces contrées lointaines à plusieurs milliers de kilomètres. Mais elles se passent maintenant. Cela nous rend donc responsables de faire de ce monde un endroit où vivre est bien plus qu’un privilège. Les histoires d’enfants soutenus par Omoana mentionnées dans ce discours témoignent du fait que dans ce monde tout est envisageable. Un sincère merci à tous les artisans de l’œuvre d’Omoana qui ne se laissent simplement pas aller au fatalisme.
Discours de Mathilde Jordan
Voilà maintenant 10 ans que les premières lignes de l’aventure Omoana ont été écrites. Au départ axée sur le soutien du centre d’accueil provisoire St Moses, l’association n’a eu de cesse d’évoluer. Lorsque les connaissances et les fonds nécessaires ont été acquis, Omoana a étendu son champ d’action. Des projets dans les domaines de la santé, de la microfinance, de l’agriculture et de l’éducation ont vu le jour depuis.
Je crois que c’est un sentiment de commune humanité qui encourage les différents acteurs d’Omoana à s’engager pour davantage de justice. C’est la conviction que les peuples d’ailleurs, quelle que leur culture, ont les mêmes besoins, les mêmes aspirations et les mêmes sentiments que nous qui sommes nés sous des latitudes plus généreuses.
Car ce n’est que le hasard des naissances qui m’a donné la chance de voir le jour dans un pays en paix et de faire des études, d’avoir l’opportunité de donner régulièrement mon avis en tant que citoyenne et de savoir que demain, je pourrai certainement offrir ces mêmes espoirs à mes propres enfants. Seulement, savoir que d’autres n’ont pas reçu les mêmes cadeaux pour leur avenir terni quelque peu ce joli tableau et n’apaise en rien ma conscience d’enfants gâtée. La vie ne doit pas être prise à la légère, et la vie des autres encore moins. C’est certainement face à ce constat qu’il y a 10 ans, les fondateurs d’Omoana ont pris leur courage à deux mains et mis sur pied l’association.
Pourtant, malgré les succès rencontrés par Omoana, trop souvent encore, lorsque le thème de l’aide au développement est abordé avec des connaissances, je ressens chez mes interlocuteurs une certaine lassitude. Ils ont entendu parler de puits construits en Afrique et laissés à l’abandon, la corruption des gouvernements et autres organismes les rebute et enfin, les frais administratifs démesurés de certaines ONG ont considérablement atteint leur confiance. Au-delà de ces aspects, j’ai souvent le sentiment d’être considérée comme une idéaliste, naïve qui croit encore vainement en ces notions de justice et de solidarité. Pour répondre à cela, je dirais qu’il est essentiel de revendiquer son caractère idéaliste, car il est à la source de l’engagement et de l’indignation. Mais je réponds également, qu’à défaut de croire vraiment en un changement global, j’adhère à l’idée qu’une aide au développement ciblée, efficace et durable existe bel et bien, et que les améliorations qui lui sont imputables sont réelles.
Car lorsqu’on leur en donne les moyens, les communautés bénéficiaires savent faire preuve d’une responsabilité et d’un investissement qui forcent l’admiration. Ce sont des acteurs de développement et nous devons leur donner l’opportunité d’obtenir la pérennité financière qui leur permettra d’offrir des perspectives d’un avenir prometteur aux enfants à naître. Omoana y parvient grâce à des projets qui se veulent novateurs et proches des réalités locales. Nous sommes convaincus que les clés d’un développement responsable reposent sur la possibilité pour les populations d’accéder à l’indépendance et sur la collaboration avec des organismes locaux qui connaissent le contexte mieux que quiconque.
Seulement, pour que les objectifs fixés puissent être atteints, le concours de très nombreuses personnes a été nécessaire depuis la fondation de l’association. Ainsi, je tiens à remercier les très nombreux donateurs individuels et les bailleurs de fonds. Sans votre confiance et votre générosité, aucun projet n’aurait vu le jour. Un merci particulier à Fribourg Solidaire, car au-delà du soutien financier accordé, les conseils avisés de ces experts de l’aide au développement nous sont précieux. De même, les membres de notre comité de soutien sont des référents essentiels. Notre reconnaissance toute particulière se porte vers Ilsemarie Cottier, Maria Rivas et Bernard Préel ainsi que Jean Genoud, qui offrent sans compter leur expérience et leur disponibilité. En cette année d’anniversaire, les activités des 10 ans ont été mises en place grâce au soutien de nombreux organismes. Merci à eux, et en particulier à Fribourg Solidaire et aux communes de Bulle et de Châtel-St-Denis. La direction des CO de la Tour de Trême et de Bulle ainsi que du Collège du Sud appuient les efforts d’Omoana depuis de très nombreuses années et sont toujours prêtes à nous ouvrir les portes de leur établissement. Merci du fond du cœur de nous offrir ces opportunités. Un merci sincère également à tous les bénévoles qui se mettent à disposition lors des soirées passées et à venir ainsi qu’aux intervenants de la table ronde à suivre. Leur expérience du terrain et leurs connaissances académiques enrichiront la soirée. Et enfin, pour que les dons et la confiance de tant de monde soient utilisés à bon escient, le comité d’Omoana travaille main dans la main avec ses partenaires locaux. Merci à chacun d’entre eux, ici et en Ouganda, d’accorder généreusement de nombreuses heures pour parvenir à coordonner, financer et suivre chacun des projets. Un merci spécial à Florence Savary, Adrien Genoud et à Ruth Lubega, la coordinatrice d’Omoana House qui nous vient tout spécialement d’Ouganda.
10 ans, ce n’est que l’aube d’une vie. Nous espérons que les graines plantées jusqu’ici porteront leurs fruits encore durant des années. N’oublions pas qu’en notre doux pays, chaque citoyen a la possibilité, par l’indignation, l’engagement et la revendication de faire valoir ses opinions. Ces derniers sont d’une importance capitale car ils peuvent influencer les relations Nord-Sud, et ainsi la vie des populations d’ailleurs qui prouvent chaque jour, par leur force et leur implication, à quel point elles souhaitent elles aussi accéder à la dignité.
Assurer un avenir commun, durable et solidaire
D’ordinaire, nous préférons tourner notre regard vers l’avenir afin de contribuer à rendre ce dernier porteur d’espoir pour chaque enfant ougandais. Aujourd’hui pourtant, à l’aube de nos 10 ans, il semble essentiel de revenir sur nos pas pour tenter de comprendre l’évolution de l’aventure Omoana.
Au commencement, il serait malvenu de ne pas citer la persévérance des fondateurs, qui ont su, grâce à des efforts de mobilisation et à des convictions profondes, semer les graines nécessaires à l’éclosion des divers projets « omoaniens ». La générosité et la confiance de nombreux bénévoles et donateurs contribuent depuis à rendre ce terreau fertile, afin que les efforts des débuts portent leurs fruits et que les activités sur le terrain puissent perdurer.
Aujourd’hui, Omoana n’a certes plus les couleurs spontanées et quelque peu innocentes de ses débuts, mais elle garde pourtant un esprit jeune et dynamique. A cela est venu s’ajouter avec le temps l’expérience du terrain, le professionnalisme et la connaissance du contexte, rendue possible grâce à des échanges fructueux avec des partenaires ougandais. Il nous semble essentiel que les projets mis en place répondent à des demandes et des besoins locaux, en tenant compte de l’individualité et de l’histoire des bénéficiaires. Les projets doivent également correspondre aux défis actuels de l’aide au développement et viser l’autonomisation et l’indépendance des bénéficiaires.
C’est précisément au nom de l’expérience accumulée durant 10 ans que nous souhaitons organiser les divers événements à venir. Ceux-ci se veulent festifs, mais également informatifs, car nous ne cesserons jamais d’encourager les jeunes et moins jeunes à s’engager sur les chemins de la solidarité, afin d’assurer un avenir prospère, durable et juste pour chaque habitant de cette Terre…
Mathilde Jordan