Nous connaissons tous ces statistiques insolites et autres classements internationaux qui prêtent souvent à sourire : les Suisses sont les champions de la consommation de chocolat, les Tchèques se distinguent par leur consommation de bière, il y aurait en Finlande plus de saunas en fonction que de voitures en circulation, la France peut se targuer d’être le pays des plus de 300 fromages, etc. Dans ces olympiades des particularités nationales, l’Ouganda n’est pas en reste. En effet, on dénombrerait dans ce pays d’Afrique plus de téléphones portables que d’ampoules électriques !
Tirée d’un article de la journaliste Dara Kerr paru en 2009 (For Uganda’s poor, a cellular connexion, CNet) cette comparaison entre téléphones portables et ampoules, a priori anecdotique, n’est en réalité pas dénuée de tout intérêt. Cette statistique peut même s’avérer riche d’enseignements quant à l’état de développement économique du pays et à ses opportunités futures. Par ailleurs, elle montre que les étapes menant à la diminution de la pauvreté peuvent être innovantes et multiples.

Sous nos latitudes, l’accès à l’électricité n’est pas considéré comme un luxe réservé à quelques privilégiés mais bien comme un service de base, au même titre que l’accès à l’eau courante et potable, à des soins médicaux et à une éducation de qualité. Dès lors, vu d’un pays riche, c’est certainement la faible utilisation d’ampoules qui tend à surprendre en premier lieu ; celle-ci traduisant le manque d’accès à l’énergie électrique. Selon les chiffres de la Banque Mondiale, moins de 20% de la population ougandaise est connectée au réseau électrique. Ainsi, la très grande majorité des ménages cuisine au feu de bois et leurs enfants font leurs devoirs à la lumière de la lampe à huile, autant polluants que nocifs pour la santé. Certainement plus parlant que la simple comparaison des PIB nationaux, cet aspect du développement économique permet de mesurer concrètement l’écart qui sépare notre niveau de vie de celui d’une famille ougandaise moyenne. Outre ce terrible constat, peut-on voir dans notre comparaison initiale entre téléphones portables et ampoules quelques perspectives réjouissantes ? Fort heureusement, la réponse est oui !

Alors que la diffusion de l’énergie électrique tarde, celle de la téléphonie mobile est fulgurante et laisse entrevoir des opportunités, non seulement en Ouganda, mais aussi dans de nombreux pays en voie développement. Rechargés à l’énergie solaire ou à l’aide de batteries de voiture, les téléphones portables offrent pléthore de services par SMS. Dans un contexte où l’accès à l’information est limité, le téléphone fait tout d’abord figure de vecteur idéal de diffusion. Des informations relatives aux prévisions météorologiques, à la propagation des épidémies, à la localisation des centres de soins les plus proches, ou encore aux méthodes agricoles recommandées, deviennent ainsi accessibles aux habitants des régions les plus reculées. En plus d’informer, le téléphone se révèle aussi être une voie d’accès aux services financiers qui font tant défaut dans ces pays. Grâce à des systèmes tels que M-Pesa – littéralement « mobile money » – le téléphone portable devient un compte en banque permettant de payer, d’épargner, ou d’emprunter, le tout à des coûts de transaction réduits. Les téléphones devenant smart et offrant l’accès à internet et à toutes sortes d’applications, il ne fait aucun doute que leur potentiel est encore immense et laisse augurer d’importantes avancées autant pour l’économie, que pour la santé ou l’éducation.

Notons finalement que, aussi surprenant que cela puisse paraître, il semblerait que la téléphonie mobile soit en mesure de contribuer à amener la lumière et l’électricité dans les foyers africains. En effet, un récent article paru dans le Guardian (The Africans buying sunshine with their phones, 2016) rapportait le succès commercial d’un kit d’énergie solaire, comprenant un panneau solaire, une batterie rechargeable, deux ampoules et une lampe de poche LED, ainsi que d’un adaptateur servant à recharger les téléphones. De prime abord inabordable pour de nombreuses familles, ce kit a la particularité d’être vendu à crédit, moyennant des remboursements réguliers (50 centimes par jour)…directement prélevés sur le téléphone portable des acheteurs ! Il se pourrait donc que la vaste utilisation des téléphones portables, couplée à des solutions innovantes, puisse faciliter l’accès à des biens et services de base, tel que l’électricité.

Simon Berset
Trésorier