La jeunesse Ougandaise en quête de nouveaux horizons

Au téléphone, la voix de Michael est calme et déterminée. « On est débordés de travail depuis que le confinement a pris fin. » raconte-t-il depuis Gulu, la ville principale du nord de l’Ouganda.

Michael Ojok, 32 ans, est à la tête d’Hashtag Gulu, une organisation non gouvernementale qui propose des programmes de soutien et de réintégration pour les enfants forcé·e·s à vivre dans la rue et d’y faire les jobs qu’ils·elles peuvent trouver pour réussir à manger chaque jour.

Il décrit que beaucoup de jeunes à Gulu, et dans presque tout l’Ouganda, se sont heurté·e·s aux difficultés d’un marché du travail très fermé et à une économie en pleine évolution frappée de plein fouet par la crise sanitaire. Faute d’opportunité, beaucoup d’entre eux·elles sont forcé·e·s de faire des choix extrêmes.

Pour Michael, le système éducatif ne prépare pas suffisamment les jeunes Ougandais·es : « Le niveau d’éducation est élevé, mais ce système engendre plus de diplômé·e·s que le marché ne peut en absorber. Un·e jeune qui ne se concentre que sur ses études aura moins de chances de trouver un poste au sortir de l’école. Tu obtiens ton papier mais tu dois trouver des moyens de survivre. On devrait leur faire acquérir des compétences pratiques. Ainsi, les jobs manuels ne seraient pas une solution de dernier recours. Les jeunes doivent être davantage accompagné·e·s. »

Alors beaucoup, pour éviter le pire, tentent de monter leur propre business. Ils·elles déploient une énergie immense et développent des idées inédites. Malheureusement, des prêts quasiment inaccessibles et des compétences qui n’étaient pas au programme scolaire (gestion des clients, réseautage, etc.) ont vite raison de leurs ambitions. La route est cahoteuse.

Elle l’est d’autant plus lorsque, dans l’entourage de ces jeunes, une guerre civile de près de 20 ans a laissé derrière elle de profondes cicatrices psychologiques : agressivité dans les relations de tous les jours, cauchemars fréquents, crises de tremblement… et stigmatisation de ceux·celles qui, au sein d’une communauté, parmi les membres d’une famille, souffrent de ces symptômes. « C’est un sujet que personne n’aborde ouvertement. Il n’y a pas de travail de mémoire », déplore Anett Pfeiffer Tumusiime, directrice de l’ONG Vivo Ouganda soutenue par Omoana. 

« Même au sein d’un couple, la tendance est de cacher les horreurs qui ont bien pu se passer durant cette période. Or, tout le monde a été affecté. En termes de santé mentale, ce qui s’est passé il y a 20 ans est aussi vif que si ça s’était passé hier.»

Anett Pfeiffer Tumusiime, directrice de l’ONG Vivo Ouganda soutenue par Omoana

Vivo Ouganda contribue aux efforts de Hashtag Gulu via des sessions de thérapie narrative proposée aux bénéficiaires de l’ONG de Michael Ojok. Ce partenariat a également permis à certains membres de l’équipe de Hashtag Gulu de recevoir des formations spécifiquement axées sur le traitement de traumatismes. Ainsi, ces deux organisations peuvent fournir une aide psychologique aux personnes les plus traumatisées. Dans certains endroits, des groupes de soutien se sont spontanément mis en place pour assister financièrement d’anciens enfants-soldats. Des programmes radio participent aussi à briser le silence et réduire la stigmatisation. « Le changement se fait progressivement mais c’est un processus long et complexe », explique Immaculate Achan, chargée de programme pour Omoana.
« Ce processus est essentiel, rappelle Anett, puisque les parents d’aujourd’hui étaient enfants durant la guerre civile. Ce sont ceux·celles qui ont le plus souffert des actes commis durant ce conflit qui élèvent désormais la génération suivante ».

A l’autre bout du fil, Michael, père d’une petite fille, aimerait voir plus loin. Il reconnaît l’importance d’une telle conversation « pour être sûr qu’une telle violence ne se reproduise plus » mais plaide pour la recherche d’un équilibre subtil : « Comment peut-on reconnaître les atrocités commises tout en ne se focalisant pas dessus ? Je crois qu’il est temps qu’on passe du rôle de victimes à celui de survivants. On doit se demander : comment puis-je faire des projets et réussir ce que j’entreprends sans revenir sans cesse à ce conflit ? La difficulté est là : s’éloigner du récit de cette guerre et se concentrer sur les défis qui nous attendent. On ne peut pas continuer à mettre la situation actuelle sur le dos de la guerre civile, quelque chose doit changer. Quelles sont les opportunités qui existent ? et comment la jeune génération peut-elle y accéder ? »


Lutter contre les violences basées sur le genre: impliquons les hommes

Depuis janvier 2018, avec le soutien d’Omoana, Handle Uganda met en place un projet de prévention des violences basées sur le genre. Cela contribue à favoriser une dynamique familiale favorable au bien-être des enfants. En voici une description...

HANDLE Uganda est une petite ONG locale basée à Gulu, au nord de l’Ouganda, une région qui fait encore face aux conséquences dévastatrices d’une guerre civile longue de vingt ans. L’organisation a débuté un projet de trois ans dans le district de Nwoya afin de lutter contre la violence basée sur le genre (VBG), fortement répandue au nord de l’Ouganda pendant et après le conflit. Ce projet ambitieux développe une approche pluridimensionnelle et holistique afin de répondre au problème de VBG aux niveaux individuel, familial, communautaire ainsi qu’auprès du gouvernement local.
Outre divers types de violences physiques, la VBG prend aussi la forme d’un accès inégal à la propriété foncière et aux différents moyens de production et sources de revenus. Afin d’y remédier, HANDLE promeut les droits des femmes et l’égalité avec les hommes en offrant à 300 femmes en situation de pauvreté un support dans la création d’assemblées villageoises d’épargne et de crédit (AVEC) afin de renforcer leur alphabétisation financière. De surcroît, l’organisation fournit des formations et un accompagnement dans la création et la gestion de micro-entreprises. L’objectif est de renforcer l’indépendance financière des femmes par rapport aux hommes afin de gagner en autonomie et tendre vers une position paritaire.

Ces femmes sont aussi informées sur leurs droits et ce qui définit les VBG, de telle manière qu’elles puissent reconnaitre les diverses formes de discriminations et de violations à leur encontre. Elles reçoivent des informations sur ce qu’elles peuvent faire si elles-mêmes ou des femmes de leur entourage sont victimes de VBG. Les ressources nécessaires pour accéder aux services légaux et médicaux sont aussi mises à leur disposition. HANDLE a dans ce but une représentante légale qui apporte son soutien aux victimes en les dirigeant vers les services adéquats pour les cas les plus graves, et en assurant un service de médiation auprès des familles pour les cas de disputes conjugales.

HANDLE apporte également son soutien en cas de conflit foncier afin de limiter la tournure dramatique que ceux-ci prennent souvent. Un service de médiation est à disposition des familles et communautés concernées par de tels problèmes, ainsi qu’un support légal si besoin est. Si la privation d’accès à la propriété est en soi déjà une atteinte aux droits des femmes, elle dégénère souvent en violence physique, de manière particulièrement marquée au sein d’une population encore traumatisée par la guerre civile. Il est dès lors important de ne pas négliger cette problématique.

Avec les hommes aussi…
Le projet ne se limite néanmoins pas aux femmes. En effet, HANDLE forme aussi des groupes d’hommes-modèles constitués d’hommes de divers niveaux d’influence et origines sociales, allant des paysans aux Rwotkweris (chefs de clan). Trois groupes de trente hommes chacun reçoivent une formation intensive afin de jouer le rôle de vecteur de changement au sein de leur village et de leur communauté. Ils acquièrent des connaissances sur la VBG, les droits des femmes et sur ce qu’ils peuvent faire pour influencer et éduquer les membres de leur communauté.

Chaque homme ainsi formé représente un modèle pour sa famille et ses voisins et œuvre de manière intensive auprès de dix familles en situation de conflit, plus particulièrement de VBG. Les hommes-modèles bénéficient en outre de formations de base en service de consultation et de gestion de conflit pour les cas de VBG. Des vélos sont aussi mis à leur disposition pour mener à bien leur travail de mobilisation communautaire et leurs devoirs de médiateurs.

HANDLE travaille aussi de manière étroite avec le gouvernement local, la police et les autres parties prenantes afin de renforcer ses initiatives. Conjointement avec les autorités concernées, l’organisation réalise un important travail de sensibilisation auprès des communautés au travers d’événements culturels. A ces occasions, les différents leaders s’expriment contre la VBG et informent leur communauté de ses conséquences néfastes. Les forces de police sont quant à elles formées sur la façon de reconnaître les cas de VBG et signaler les crimes commis, ainsi que sur l’importance de signaler les cas le plus rapidement possible et préserver les preuves, spécialement dans les cas de violence sexuelle.

HANDLE se réjouit de travailler avec différents partenaires et bénéficiaires pour améliorer la qualité de vie des femmes, des hommes et des enfants au sein de leur communauté et participer à la réduction de la VBG dans la région.

Emma McGeachy